L'esprit start-up est toujours là

Christophe et Danette Beaud ne sont pas seulement un couple marié, ils dirigent également ensemble le groupe Suisse de télécommunications peoplefone. Interview tirée de Computerworld 6/2023

Global, Médias - 19.09.2023
par Felix Ruppanner

"L'esprit start-up est toujours là"

Peoplefone, qui était autrefois une petite start-up zurichoise, est devenue en 18 ans l'un des principaux fournisseurs Suisses de solutions de téléphonie et de communication. Depuis son expansion à l'étranger, l'entreprise fondée par Christophe Beaud et dirigée par lui et son épouse Danette compte aujourd'hui quelque 60 000 entreprises clientes dans la moitié de l'Europe, dont 15 000 se trouvent en Suisse. Le couple ne donne que rarement des interviews - pour Computerworld, ils ont fait une exception.

Article original publié en Allemand.

Computerworld : Peoplefone a été créé en 2005. Avez-vous fondé l'entreprise ensemble à l'époque?

Christophe Beaud: Non, je l'ai fait seul. Danette nous a rejoints en 2008.
Danette Beaud: Comme nous avons tous deux étudié à la HSG, nous nous connaissions déjà. Après nos études, nous avons d'abord fondé une autre start-up et y avons travaillé ensemble. Finalement, nous nous sommes mariés. À l'époque, je travaillais dans une entreprise familiale. Lorsque celle-ci a été vendue et que Peoplefone a commencé à se développer, je l'ai rejointe. Nous avons tous deux étudié l'économie, mais lui s'est spécialisé dans la finance et moi dans le marketing. Cela se complète parfaitement : Christophe est responsable du business development et de la finance, tandis que je travaille principalement dans le marketing et les RH.

Quel genre de start-up était-ce à l'époque?

Christophe: Il s'appelait SurfEU.com. Nous proposions des services Internet par téléphone dans cinq pays, avec le son caractéristique du modem. L'entreprise a été créée en 1999 et finalement vendue en 2001.
Danette: C'était en plein milieu de la période de la bulle Internet.
Christophe: Les cofondateurs étaient intéressés par une vente rapide - c'était la stratégie commerciale courante à l'époque. Chez Peoplefone, en revanche, nous mettons l'accent sur des services durables pour nos clients, plutôt que de nous concentrer sur la création et la vente.
Danette: À l'époque, nous avions une trentaine d'années, étions célibataires et venions de grandes entreprises. C'était une aventure. Pendant la bulle Internet, nous avons décidé d'essayer quelque chose de nouveau. Je n'y connaissais presque rien, Christophe un peu plus. C'était une entreprise passionnante. Nous avons loué un bureau et assemblé nos propres meubles Ikea, puis nous avons appris à improviser.
Christophe: Le fait que je sois diplômé de l'HSG à l'époque était plutôt une surprise. J'avais des affinités avec la technique et une cave de bricolage à la maison. Depuis l'école primaire, j'aimais l'électronique, je réparais des radios et des télévisions et j'étais radioamateur. Au départ, je voulais étudier l'électronique, mais j'ai finalement opté pour le HSG. J'ai néanmoins pu revenir à mes passions pour l'électronique et les télécommunications et finalement faire ce que j'aime.
Danette: peoplefone est notre quatrième enfant - nous avons déjà trois enfants qui ne sont plus des enfants - et cet "enfant" a également déjà 18 ans.

N'était-il pas difficile pour vous d'avoir des enfants et de diriger Peoplefone en même temps?

Danette: Oui et non. Mais c'était définitivement un énorme avantage de travailler dans sa propre entreprise. Cette situation a permis une plus grande flexibilité. Le simple fait de pouvoir partir à tout moment, par exemple si les enfants sont malades, m'a énormément soulagée. Heureusement, je n'ai jamais eu à recourir à cette possibilité. En tant qu'employée dans une grande entreprise, cela n'aurait guère été possible. J'ai donc pu travailler à plein temps. Si je devais m'absenter pendant la journée, je travaillais simplement quelques heures supplémentaires le soir. Le mot "indépendance" se compose de "soi-même" et de "constamment" - on ne peut compter que sur soi-même et le travail ne s'arrête jamais. Avec une famille, c'est un peu la même chose : on est constamment sur la brèche, mais c'est aussi ce qui rend les choses passionnantes. Et c'est agréable d'avoir quelque chose avec lequel on peut s'identifier pleinement.

Qu'est-ce que cela fait de diriger une entreprise en tant que couple?

Christophe: C'est un énorme avantage d'être un couple solide. Certes, je suis le CEO et le fondateur, mais je peux toujours compter sur le soutien et les conseils de ma femme. Notre communication est immédiate et efficace. Bien sûr, nous ne sommes pas toujours d'accord, mais nous avons alors des discussions honnêtes. Il peut arriver que nos collaborateurs doivent quitter brièvement la salle de réunion lorsque les émotions sont à fleur de peau, mais l'harmonie revient au bout de quelques minutes. De plus, cette dynamique permet d'accélérer et d'améliorer la prise de décision.
Danette: Beaucoup de choses sont aussi liées à la confiance. Comme nous connaissons la manière de travailler de l'autre, nous pouvons agir simultanément dans différents domaines. Un peu comme un bon couple de parents. Il ne faut peut-être pas trop utiliser le mot "famille", mais dans un sens, nous considérons Peoplefone comme tel. Il y a une atmosphère d'ouverture et nous nous réjouissons de passer chaque jour ici, même si nous sommes parfois en désaccord. Cela peut donner lieu à des disputes, mais ensuite, on s'apprécie à nouveau, car il existe une profonde confiance de base.
Christophe: Chez Peoplefone, nous parlons de start-up parce que nos collaborateurs peuvent et doivent agir comme s'il s'agissait de leur propre entreprise. C'est très important pour nous, car nous pouvons ainsi offrir quelque chose qu'une grande entreprise ne peut pas faire. Enfin, notre principal problème est le recrutement - trouver du personnel IT qualifié n'est pas chose facile.
Danette: Un autre avantage réside dans le fait que les hommes et les femmes ont souvent des perspectives différentes sur la même situation. Ces points de vue différents conduisent souvent à de meilleures solutions.

Est-ce que vous vous complétez aussi au niveau du caractère?

Danette: Absolument ! [rires] Nous sommes de purs opposés sur le plan du caractère.
Christophe: Mais cela ne peut fonctionner que si personne ne domine.

Comment le caractère de start-up de Peoplefone se manifeste-t-il?

Christophe: L'esprit start-up est toujours là : nous tirons le maximum des ressources disponibles. Bien sûr, nous avons grandi et avons dû nous organiser. Contrairement aux grandes entreprises, dans lesquelles les collaborateurs se contentent souvent de remplir leurs obligations, les employés des start-up participent activement à la réflexion, car ils sont aussi des entrepreneurs. Dans une entreprise composée uniquement de fonctionnaires, c'est beaucoup plus rare.
Danette: Nous voulons que tous nos collaborateurs se considèrent comme des entrepreneurs et agissent en conséquence. Nous y attachons de l'importance lors du recrutement et veillons également à ce que tous soient bien informés de tous les processus de l'entreprise. Cela crée une bonne redondance : pour chaque tâche, il y a plusieurs personnes qui peuvent l'assumer. Si quelqu'un est absent, d'autres peuvent immédiatement prendre le relais. Chez nous, il n'y a pas de séparation claire des responsabilités ni de description de poste définissant toutes les activités. Pour permettre à tous d'avoir une vue d'ensemble, nous organisons chaque lundi une réunion avec tous les collaborateurs. Cela facilite beaucoup de choses.

Quelles sont les caractéristiques uniques de Peoplefone?

Christophe: Une caractéristique unique est certainement notre excellente relation avec les partenaires d'installation locaux. Lorsqu'ils nous appellent, ils sont immédiatement mis en relation avec un technicien. C'est un argument de poids pour les partenaires d'installation. Pour eux, il serait plus compliqué d'avoir une entreprise uniquement composée de fonctionnaires ou avec un support à l'étranger. Chez nous, les Suisses alémaniques s'occupent des partenaires en Suisse alémanique, les Romands de ceux qui sont en Suisse romande et les Tessinois de ceux qui sont au Tessin. C'est important et cela nous permet d'être proactifs. Un autre avantage est que nous gérons quasiment un kiosque en ligne : Les partenaires d'installation peuvent préparer quelque chose très rapidement, en quelques minutes, par exemple une nouvelle installation téléphonique. Chez la concurrence, ils doivent parfois commander des mois à l'avance. À cela s'ajoute le fait que nous employons les mêmes personnes au service clientèle depuis des années. Cela crée de la confiance. Nos concurrents ont beaucoup plus de changements de personnel.
Danette: C'est là que l'esprit start-up entre à nouveau en jeu : chez nous, il n'y a personne qui, lorsqu'on l'appelle, dit qu'il n'en sait rien parce que ce n'est pas son service.

Vous ne parlez que des partenaires d'installation. Êtes-vous également en contact avec les clients finaux?

Christophe: En général, ce ne sont que les partenaires d'installation. Ceux-ci recommandent par exemple Peoplefone à leurs clients parce qu'ils travaillent bien avec nous et que notre solution peut se connecter à leur logiciel ERP. Un exemple : un partenaire d'installation propose un logiciel de comptabilité pour les avocats. Il fait remarquer qu'un connecteur API permet de facturer automatiquement tous les appels téléphoniques, ce qui est très pratique pour les avocats. Pour cela, il faut toutefois que Peoplefone soit le fournisseur. C'est un cas typique - jusqu'à 90 pour cent des projets proviennent des partenaires d'installation. Grâce à notre présence sur le web, certains clients viennent aussi directement nous voir. Mais nous essayons alors assez rapidement de les mettre en contact avec un partenaire. Les exceptions sont les grandes entreprises qui disposent de leur propre service informatique et qui n'ont pas besoin d'un installateur externe.
Danette: La plupart des PME ne nous remarquent qu'au moment de la facturation. Si tout se passe bien, elles n'ont pas de contact direct avec nous.
Christophe: Notre stratégie marketing se concentre également entièrement sur les partenaires installateurs - nous en avons plus de 1000. Cela peut conduire à ce que nous nous présentions chez le client final lors d'un rappel et que celui-ci ne sache même pas qui nous sommes, puisqu'il a un contrat avec Swisscom. Nous lui disons alors que nous pouvons couper notre service de temps en temps et qu'il verra alors ce qui lui manque.
Danette: Nous ne faisons pas du B2B, mais quasiment du B2B2B - des PME partenaires d'installation de Peoplefone.

Dans quelle direction évolue la téléphonie?

Christophe: Surtout en direction de l'intégration dans d'autres systèmes comme le service clientèle, le CRM, le marketing, la vente et l'ERP. Prenons encore une fois l'exemple des logiciels pour avocats. Ceux-ci n'ont plus besoin de vérifier combien de fois leur client a appelé, le décompte se fait automatiquement. Le logiciel, en liaison avec Peoplefone, reconnaît de quel client il s'agit, combien de temps a duré la conversation, etc. Ce genre de choses est très demandé aujourd'hui. Pour nous, cela signifie que de plus en plus souvent, nous ne développons plus seulement des produits finis, mais des solutions qui peuvent être connectées et développées avec des API.
Danette: Autrefois, nous faisions de la publicité en tant que fournisseur de VoIP, aujourd'hui en tant que fournisseur de solutions de communication. Ceci dans le sens où la communication va dans toutes les directions et que tous les canaux possibles - du chat à la téléphonie - doivent être regroupés. Il s'agit notamment de proposer aux PME, par l'intermédiaire des partenaires installateurs, la solution de communication la plus simple, la plus conviviale et de la plus haute qualité, afin que ces entreprises puissent bénéficier d'une efficacité maximale.​​​​​​​
Christophe: Prenons l'exemple du service client : Lorsque quelqu'un appelle une PME, la personne en charge du dossier devrait immédiatement voir de quel client il s'agit, quels sont les derniers problèmes qu'il a signalés, s'il a payé ses factures, etc. Tout cela est aujourd'hui possible.

De nombreuses entreprises communiquent avec des plateformes de collaboration comme Microsoft Teams, qui permettent également de téléphoner. Qu'est-ce que cela signifie pour Peoplefone?

Christophe: Pour passer des appels externes, on a toujours besoin d'un fournisseur. Il peut s'agir de Microsoft lui-même, où cela s'appelle "Calling Plan", mais les fournisseurs locaux sont le premier choix, en particulier pour le service clientèle : essayez d'appeler Microsoft si vous avez soudainement des problèmes de connexion ... Bien sûr, il existe désormais des services dits Over-the-top (OTT), par exemple de Google ou Microsoft, mais ils ne peuvent pas remplacer complètement la téléphonie. C'est pourquoi Microsoft travaille avec des fournisseurs locaux : Ceux qui ont un abonnement à Teams peuvent choisir leur fournisseur dans une liste. Cisco fait de même avec WebEx, et Zoom prévoit également d'aller dans cette direction.
Danette: En outre, la réception d'appels avec Teams ne fonctionne que si elle est ouverte. Ce n'est pas toujours le cas pour les petites entreprises, comme un salon de coiffure ou un bureau d'architectes. Pourtant, la joignabilité doit toujours être garantie. Et la Suisse dispose justement d'un paysage de PME très diversifié.
Christophe: En outre, nous proposons des solutions personnalisées pour les PME. Nous pouvons développer rapidement un logiciel pour elles, puis l'adapter rapidement si nécessaire. Et bien sûr, nous veillons à ce que nos logiciels soient soigneusement adaptés aux besoins locaux de chaque pays. Le local est justement notre créneau, dans lequel nous avons beaucoup de succès. En contrepartie, cela rend notre expansion dans d'autres pays plus difficile, par exemple en raison de réglementations différentes. Mais pour que nous puissions vraiment bien nous développer en tant qu'entreprise suisse, nous devons aussi aller à l'étranger. C'est pourquoi nous avons aujourd'hui des succursales dans sept pays : Suisse, Allemagne, Autriche, France, Pologne, Slovaquie et Lituanie. En outre, nous avons une licence de fournisseur de télécommunications dans cinq autres pays : l'Italie, l'Espagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas.

Dans quelle mesure les différentes réglementations posent-elles problème?

Christophe: Prenons l'exemple de l'Allemagne : l'Agence fédérale des réseaux, l'équivalent de la Bakom suisse, exige une fois par an un audit externe de notre système de facturation, ce qui est complexe et coûteux. De plus, nous devons soumettre chaque année un concept de sécurité également coûteux. Et si nous le remettons le vendredi, nous recevons dix demandes de précisions dès le lundi. Ils ont un énorme appareil qui complique et renchérit encore notre travail. L'Autriche aussi a des règles compliquées, surtout parce que le pays essaie de protéger les fournisseurs d'accès autrichiens. Il existe certes une réglementation européenne des télécommunications, mais malgré cela, chaque pays fait presque tout comme il l'entend, et ce malheureusement de plus en plus. L'argument souvent avancé est la protection des consommateurs, mais il s'agit en fait de protectionnisme du marché.​​​​​​​
Danette: Nous choisissons donc très soigneusement les pays dans lesquels nous sommes actifs en tant que fournisseur. Mais nous avons aussi la possibilité d'acheter et de porter des numéros de téléphone dans d'autres pays par le biais de sociétés tierces. Pour cela, nous n'avons pas besoin d'être sur place.
Christophe: Il est toutefois possible que nous nous essayions bientôt à l'activité de fournisseur d'accès en Italie.

Il y a donc d'autres projets de croissance. Même inorganiques?

Danette: Non, seulement organiques. Nous avons toujours dit que nous voulions choisir nous-mêmes nos collaborateurs et que nous n'achetions donc pas d'entreprises.
Christophe: L'inconvénient est que nous nous développons ainsi un peu plus lentement. Le grand avantage est toutefois que nous pouvons créer des postes individuels et les pourvoir avec des personnes de qualité. En outre, tout ce que l'on achète dans le domaine des télécommunications est compliqué pour le personnel des deux côtés. Et finalement, nous ne voulons pas perdre de temps et d'énergie à cause de la politique interne.

La redondance est une question importante dans le domaine des télécommunications. Comment cela a-t-il été résolu géographiquement?

Christophe: Par le biais de plusieurs sites de serveurs propres : deux à Zurich, deux à Francfort-sur-le-Main et un à Varsovie. Par exemple, Microsoft ou encore Swisscom exigent deux sites pour des raisons de sécurité.​​​​​​​
Danette: Nous ne sommes donc pas dans un des grands clouds, mais nous avons notre propre infrastructure.​​​​​​​
Christophe: L'exception est la cybersécurité, où nous utilisons Cloudflare. Mais nous proposons à nos clients des solutions cloud, par exemple des installations téléphoniques complètes sous forme de Software as a Service.​​​​​​​
Danette: Nous employons donc plusieurs personnes qui sont principalement chargées de la surveillance continue de l'infrastructure et des mises à jour de tous les systèmes. Avec plus de 600 serveurs au total, cela fait beaucoup de travail. Mais nous préférons le faire nous-mêmes, avec nos collaborateurs de longue date qui connaissent tout sur le bout des doigts.​​​​​​​
Christophe: Nous employons donc plusieurs personnes qui sont principalement chargées de la surveillance continue de l'infrastructure et des mises à jour de tous les systèmes. Avec plus de 600 serveurs au total, cela fait beaucoup de travail. Mais nous préférons le faire nous-mêmes, avec nos collaborateurs de longue date qui connaissent tout sur le bout des doigts.​​​​​​​
Danette: En général, les collaborateurs restent chez nous plus longtemps que la moyenne, ce qui est très précieux compte tenu de la pénurie de personnel qualifié. En outre, nous sommes personnellement très heureux de les voir évoluer au fil des ans, un peu comme les parents le font avec leurs enfants. Nous sommes très fiers d'avoir réussi à créer une équipe aussi formidable et familiale.

Lien vers l'article original

Article original publié en Allemand.

 

19.09.2023, par Felix Ruppanner